Tribune publiée sur le site de franceinfo
Nous, associations, collectifs et syndicats, répondons à l'alerte lancée par l'association Avenir santé environnement et unissons nos voix pour exiger ensemble une transition agricole vers un modèle plus résilient, impliquant une sortie des pesticides de synthèse. Il en va de notre santé collective, de la santé de nos générations futures et de la sauvegarde de notre biodiversité.
L’association Avenir santé environnement située sur l’agglomération de La Rochelle s’est constituée en 2018 à la suite de la multiplication de cancers pédiatriques sur la commune de Saint-Rogatien et de l'alerte sanitaire lancée par le CHU de Poitiers à l'Agence régionale de santé (ARS) concernant ce territoire. Dès 2018, une étude épidémiologique a révélé un excès de risques pour la tranche d’âge des 0-24 ans sur la commune de Saint-Rogatien.
Depuis maintenant trois ans, les résultats d’études mettent en évidence la présence massive de pesticides autour de La Rochelle et plus particulièrement dans la plaine d’Aunis. La Charente-Maritime détient de bien tristes records en termes de pollution de l’air et de l’eau aux pesticides. Et qu’en est-il de la pollution des sols ? Qu’en est-il de l’effet cocktail occasionné par l’exposition multiple à des substances dont les niveaux dépassent les normes sanitaires ? Quel risque de développer des maladies chroniques et des cancers ?
Les premiers pesticides de synthèse ont fait leur apparition dans l’agriculture dans les années 40. Ils ont permis de maîtriser l’invasion de certains ravageurs qui pouvaient mettre à mal la production agricole, mais à quel prix ? Une vingtaine d'années plus tard seulement, les premiers soupçons d’impacts négatifs sur l’environnement et la santé humaine sont mis en évidence.
L’Etat et les autorités de nos territoires doivent agir pour protéger la santé des populations et l’environnement de plus en plus fragilisés et dégradés. Les expositions aux pesticides et les risques associés sont multiples. Et bien au-delà du département, d’autres associations se mobilisent partout en France.
En nous appuyant sur une multitude d’études, nous établissons un constat très alarmant. Les pesticides impactent notre santé et notre environnement.
● Nous savons que la France est à l’heure actuelle l’un des principaux consommateurs de pesticides en Europe.
● Nous savons que l’air est contaminé.
● Nous savons que les sols sont contaminés.
● Nous savons que la quasi-totalité des cours d’eau en France est contaminée.
● Nous savons que l’eau du robinet est concernée par la contamination aux pesticides.
● Nous savons que les pesticides impactent la biodiversité.
● Nous savons que les pesticides contaminent les cultures biologiques et menacent l’apiculture.
● Nous savons que les plans de réduction d’usage des pesticides sont en échec.
● Nous savons que certaines pathologies développées suite à une exposition aux pesticides sont désormais reconnues comme maladies professionnelles.
● Nous savons qu’il existe de fortes présomptions entre l'exposition aux pesticides et la survenue de certains cancers pédiatriques.
Ce que nous savons est suffisant pour demander aux décideurs d’appliquer le principe de précaution. Les données scientifiques sont suffisamment avancées pour agir immédiatement.
Contre ce désastre sanitaire systémique, la France doit réagir de toute urgence. Pollution des eaux, de l’air, des sols, disparition des abeilles, chute de la biodiversité, développement des maladies chroniques dont les cancers… Récemment, il a même été démontré que les pesticides contiennent des résidus de pétrole et des métaux lourds non déclarés ce qui peut aggraver leurs toxicités.
L’Etat Français ne peut plus ignorer les données scientifiques, ni renier perpétuellement ses engagements.
A l’automne 2021, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies reconnaissait dans la résolution 48/13 que disposer d’un environnement propre, sain et durable est un droit humain. En juillet 2022, L’Assemblée générale des Nations unies a déclaré à son tour que tous les habitants de la planète ont le droit à un environnement sain. La France a cosigné ces deux résolutions et s’est engagée à travailler à ce que tous les Français et Françaises aient le droit à un environnement sain.
Nous demandons donc d’une seule et même voix :
● L’application immédiate et systématique du principe de précaution concernant toutes les formulations mettant en œuvre les molécules classées CMR (cancérogène, mutagène, reprotoxique), les néonicotinoïdes et les perturbateurs endocriniens. Il s’agit d'arrêter immédiatement leur utilisation tant que leur innocuité sur la santé n’a pas été rigoureusement démontrée.
● L’interdiction immédiate d’utilisation de tous les pesticides de synthèse sur les aires d’alimentation de captages d’eau potable.
● La révision immédiate des textes réglementaires censés encadrer l’usage des pesticides notamment le décret dit de “Protection des personnes”. Nous souhaitons que les zones concernées par ce décret ainsi que des périmètres de protection autour de tous les lieux de vie, écoles, crèches, terrains de sport et habitations compris soient traités exclusivement avec des produits utilisés en agriculture biologique, sans aucun lien avec des pathologies lourdes et irréversibles.
● La mise en place immédiate d’un registre territorialisé des cancers sur l’ensemble du territoire français. Seulement 19 départements de France métropolitaine sur 95 sont couverts par des registres du cancer (situation parmi les plus mauvaises d’Europe). Ils couvrent uniquement 24% de la population et l’enregistrement des données a pris plusieurs années de retard. Ceux-ci n’ont donc pas vocation à alerter sur des surnombres éventuels de cancers dans certaines régions. Des données cartographiées, actualisées régulièrement, un registre doté d’un système d’alerte, des chiffres transparents pour la population et en accès libre pour les chercheurs et scientifiques, sont des outils indispensables de prévention et d’action pour la Santé environnementale.
● De rendre obligatoire et publique l’étude de l’interaction de toutes les molécules présentes dans la formulation des pesticides avant de délivrer une autorisation de mise sur le marché tant au niveau européen qu’au niveau national. Actuellement, seule la substance active est analysée.
● La prise en compte du cumul des facteurs d’exposition et de la toxicité chronique dans les études scientifiques et médicales. La France doit s’armer de normes et investir dans la recherche pour réglementer la polyexposition. Elle ne peut se contenter d’être dotée uniquement de normes sur la toxicité aiguë.
● Une sortie totale des pesticides de synthèses d’ici cinq ans.
Nous demandons un plan de conversion de notre agriculture vers un modèle agricole vraiment durable, l’agroécologie, seule garante de la protection des écosystèmes et des humains. Les contraintes fixées aux professionnels devront être accompagnées techniquement et financièrement par les institutions. La recherche et l’innovation paysanne sont des leviers pour réussir ce défi. Il en va de l’avenir de notre agriculture. Il en va aussi et surtout de la santé de tous.
Nous sollicitons le soutien de l’ensemble de la représentation nationale et demandons aux député·e·s, sénateurs et sénatrices, d’étudier nos demandes et d’organiser un débat objectif sur ce sujet majeur d'intérêt général.
L’enjeu est de taille. Il s’agit de répondre aux attentes sociétales fortes dans lesquelles se retrouvent des millions de Français. Quelle société voulons-nous pour demain ? Une société qui accepte, comme elle le fait depuis plus de 70 ans, de sacrifier l’environnement et la santé pour des exigences de libre-échange, de rentabilité et de profits ? Ou préférons-nous sortir de l’agro-chimie pour produire sainement, dans un environnement durable, protecteur de la santé publique et respectueux des générations à venir ?
La moitié des agriculteurs partira à la retraite d’ici 2030, nous devons aider les porteurs de projets vertueux à s’installer et faire en sorte qu'ils puissent gagner leur vie sans dépendre des pesticides et sans mettre en péril leur santé ! De plus en plus nombreux sont les agriculteurs acteurs de la transition agroécologique qui réussissent et se félicitent du cap qu’ils ont choisi.
Aucun agriculteur ne doit être laissé de côté, tous doivent être soutenus financièrement et accompagnés. Ce devrait être le rôle prioritaire du ministère de l’Agriculture.
Nous sollicitons une entrevue avec la Première ministre Mme Borne afin de lui présenter nos constats, notre démarche et nos perspectives. Dans le droit fil de ce que publie l’Anses : "Au quotidien et tout au long de notre vie, l’environnement est un déterminant majeur de notre santé."
La santé environnementale doit constituer une priorité nationale ; notre santé et celle des générations futures en dépendent. Assez de discours, nous voulons des actes !
Parce que nous ne pourrons pas dire à nos enfants que nous ne savions pas, Mesdames et Messieurs les élu·e·s, saisissez-vous du sujet et soyez au rendez-vous !